Retour sur le débat lors du Love Tomorrow Summit

La force tranquille du progrès : comment rendre la durabilité vraiment réalisable pour les entreprises ?

Hind Salhane & Sven Persoone

8 min.
29/09/2025

En juillet, à Boom, s’est tenu le Love Tomorrow Summit, le carrefour annuel où musique, innovation et enjeux sociétaux se rencontrent. Entre les concerts et les installations artistiques, GraydonCreditsafe a organisé un débat sur un thème qu’on ne peut plus ignorer : la durabilité.

Sous la direction de notre collègue Hind Salhane, quatre invités issus d’horizons très différents se sont réunis : Barbara Van Speybroeck (Directrice de la communication et membre du comité de direction d’Assuralia), Karla Basselier (CEO de Fedustria), Thierry Geerts (CEO de BECI et ancien Country Director de Google) et le professeur Peter Verhezen (expert international en gouvernance, éthique et durabilité).

Ensemble, ils ont cherché à répondre à une question urgente :

  1. Comment rendre la durabilité réalisable, structurelle et vivable – économiquement et socialement ?

GraydonCreditsafe @Love Tomorrow Summit 2025

Love Tomorrow Summit 2025 - Barbara Van Speybroeck

Barbara Van Speybroeck

Love Tomorrow Summit 2025 - Thierry Geerts

Thierry Geerts

Love Tomorrow Summit 2025 - Karla Basselier

Karla Basselier

Love Tomorrow Summit 2025 - Peter Verhezen

Peter Verhezen


Les risques dans un monde en mutation

« Ce qui était autrefois local est désormais mondial. Ce qui était rare devient de plus en plus fréquent. » C’est par ces mots que Barbara Van Speybroeck a décrit l’évolution du paysage des risques. Par son rôle chez Assuralia, elle constate chaque jour à quel point les assurances sont mises sous pression par la rapidité et l’ampleur du changement climatique.

Les modèles d’assurance traditionnels reposent sur la prévisibilité et les statistiques. Mais à une époque où les incendies de forêt, les inondations et les tempêtes s’enchaînent à grande vitesse, ces anciens modèles ne tiennent plus. « Le véritable risque, » affirme Barbara, « est de ne pas nous adapter. »

Elle plaide donc pour un changement radical : passer du transfert de risque à la transformation du risque. Les assureurs ne doivent pas seulement indemniser après une catastrophe, mais aussi investir dans la prévention et dans des infrastructures suffisamment résilientes pour résister aux chocs. Ils peuvent également récompenser les comportements durables : les entreprises qui investissent dans des modèles circulaires ou dans l’adaptation au climat devraient bénéficier de conditions plus favorables.

C’est une vision qui ne voit plus l’assurance comme un simple filet de sécurité, mais comme un moteur d’innovation durable.

Love Tomorrow Summit 2025 - Hind Salhane

L’industrie entre législation et réalité

Là où Barbara parle en termes de risques, Karla Basselier part de la réalité des usines et des chaînes de valeur. En tant que CEO de Fedustria, elle représente un secteur fortement sous pression : l’industrie manufacturière doit se verdir, tout en faisant face à des coûts croissants, à la concurrence internationale et à une avalanche de nouvelles lois et règles.

« Le Green Deal européen a fixé une ambition audacieuse, » reconnaît Karla. « Mais la manière dont la réglementation a été imposée aux entreprises était trop rapide, trop complexe et insuffisamment prévisible. »

Selon elle, la solution réside dans une législation intelligente : des cadres offrant une sécurité à long terme et stimulant la circularité, sans étouffer les entreprises. Elle illustre cela avec les objectifs de recyclage pour le textile. D’ici 2030, le secteur devra utiliser 50 % de matériaux recyclés. « Nous ne pouvons pas y arriver seuls. Nous avons besoin d’un secteur du recyclage qui grandit avec nous, et de consommateurs prêts à suivre. »

Et c’est là que le bât blesse : selon les enquêtes, plus de 80 % des consommateurs veulent adopter un comportement durable, mais à peine 10 % sont prêts à payer plus pour des produits circulaires. L’appel de Karla était donc aussi concret que confrontant. Elle n’a pas hésité à nommer les choses : « Arrêtez d’acheter chez Temu et Shein. Achetez local, achetez européen. »

Love Tomorrow Summit 2025

De gauche à droite : Barbara Van Speybroeck, Peter Verhezen, Karla Basselier, Thierry Geerts et Hind Salhane.

La technologie comme levier, mais avec une boussole

Alors que l’industrie et les assurances se concentrent sur les risques et les cadres, Thierry Geerts met en avant le rôle de la technologie. Fort de son expérience chez BECI et Google, il constate chaque jour comment la numérisation peut propulser les entreprises vers l’avant.

« Le problème de la durabilité est trop complexe pour l’humanité, » explique-t-il. « Qu’il s’agisse de prévisions météorologiques, de processus de production ou de gestion des matériaux : seule la technologie et l’IA peuvent réellement comprendre cette complexité. »

Mais Geerts met en garde contre la surestimation. L’IA générative et les chatbots ne sont pas la même chose que l’IA qui rend les processus de production plus efficaces ou qui réduit la consommation d’énergie. Au contraire, l’IA générative et les chatbots consomment une énorme quantité d’énergie. Il ne s’agit pas de gadgets, mais d’applications permettant aux entreprises de réduire structurellement leur empreinte écologique.

« Avec l’IA, les entreprises peuvent réduire leur empreinte de 30 % », affirme Geerts. « Pas du jour au lendemain, mais sur trois à cinq ans. »

Cependant, la technologie n’est pas un laissez-passer. Sans délais clairs et une réglementation réaliste, les entreprises européennes risquent d’être concurrencées par des régions où la durabilité n’est pas une priorité. Et cela pourrait compromettre toute la transition.

La gouvernance : choisir l’avenir

La quatrième voix du panel, le professeur Peter Verhezen, a apporté la perspective éthique et de gouvernance. Pour lui, la durabilité se résume en une question : quel avenir voulons-nous créer activement ?

« L’IA ne disparaîtra pas, » dit-il sans détour. « Mais c’est la gouvernance qui détermine comment nous l’utilisons. Il ne s’agit pas de la technologie en soi, mais des choix faits par les PDG et les responsables politiques qui orientent les algorithmes. »

Love Tomorrow Summit 2025 - Peter Verhezen, Karla Basselier, Thierry Geerts et Hind Salhane

Verhezen souligne que la gouvernance est plus que de la conformité et des rapports. C’est l’art de décider dans quelle direction une organisation évolue, et cela exige vision, empathie et imagination. « La créativité et la pensée critique sont profondément humaines. Et ce sont précisément ces qualités dont nous avons besoin pour concrétiser la durabilité. »

Son plaidoyer ? Investir dans la sagesse plutôt que dans la simple efficacité. Les entreprises qui se concentrent uniquement sur le court terme et la réduction des coûts perdent leur licence d’exploitation. « La durabilité, ce n’est pas la perfection, » conclut Verhezen, « c’est le progrès avec courage. »

Love Tomorrow Summit 2025 - Thierry Geerts et Hind Salhane

Entre espoir et réalisme

Ce qui a rendu ce panel particulier, c’est la manière dont les quatre perspectives se complétaient. Barbara a souligné les limites de l’assurabilité, Karla a insisté sur la nécessité d’une législation intelligente et de la coopération, Thierry a vu la technologie comme levier et Peter a rappelé l’importance de l’éthique et de la gouvernance.

Le fil rouge ? L’incertitude est inévitable, mais la coopération rend la transition possible.

Comme l’a dit Barbara Van Speybroeck : « Le plus grand obstacle n’est pas la résistance, mais l’incertitude. Et c’est là-dessus que nous pouvons agir ensemble. »

Conclusion : la force tranquille du progrès

La modératrice Hind Salhane a conclu le débat par un résumé percutant :

« La durabilité n’a pas besoin d’être parfaite. Elle demande du courage, de la coopération et une vision à long terme. C’est peut-être exactement ce dont le monde a besoin aujourd’hui : pas de vaines promesses, mais la force tranquille du progrès. »

Le Love Tomorrow Summit a rappelé que la durabilité n’est plus accessoire. Elle est le cœur même de l’entrepreneuriat et l’essence des affaires. Les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront quel avenir sera encore possible demain.